L’Espace Africain de Haguenau (EAH), collection d’objets d’art africain appartenant aux pères des Missions Africaines de Strasbourg, est né en mai 2007 de la volonté et de la passion du père Jacques Varoqui. Celui-ci a rassemblé, sur une surface de 102 m2, des objets collectés en Afrique de l’Ouest, notamment en Côte-d’Ivoire, au Togo, au Bénin, au Ghana, au Nigeria, des pays où ont œuvré les pères sma alsaciens et lorrains. La collection (composée d’environ 500 objets dont 43 % sont sénoufo de Côte-d’Ivoire) comprend des instruments de musique, la parure, la peinture, teinture et dessins, la sculpture (masques et statuettes), le mobilier… Ils sont témoins de la vie culturelle et constituent la marque de l’identité du sujet et de la société ; ils sont le lieu où les vivants et les morts (notamment les ancêtres) communient à l’éternité de la vie et de l’existence humaine ; ils sont porteurs d’énergie vitale.
Ces objets sont aussi témoins de la mission d’évangélisation menée par les pères sma en Afrique, et ils invitent à un voyage de découverte de l’environnement culturel des pays exposés, de la rencontre des cultures, et des conversions mutuelles et réciproques, celle des évangélisés et celle des missionnaires. L’environnement culturel des objets est d’abord celui des sociétés humaines constituées autour des idéaux de foi. En pays sénoufo par exemple – comme d’ailleurs dans la plupart des cultures africaines – il est difficile de distinguer un fait social qui ne soit à la fois culturel et religieux. Les masques, les statuettes, les parures ainsi que d’autres objets sont marqués de la quotidienneté et du renvoi à un être invisible. Cet environnement est ensuite celui des sociétés artisanes et paysannes pour qui la terre constitue l’objet de l’existence. Elle produit le bois à sculpter, les fibres et autres accessoires indispensables à la fabrication des objets ; elle produit l’aliment ; elle est le domaine des génies ; on lui offre des sacrifices de libation et des offrandes diverses. Cet environnement est enfin celui des sociétés profondément attachées à la vie symbolisée et représentée dans les masques et statuettes.
Les objets exposés à l’EAH sont des témoins de la rencontre des cultures, la rencontre entre christianisme et cultures africaines. Au premier contact, le missionnaire imposa sa vision, établît ses critères d’évaluation et renvoya au bûcher masques, statuettes, calebasses et canaris jugés incompatibles à la vie chrétienne. Vu comme tel, cette religion venue d’ailleurs fut l’objet de méfiance de la part des populations locales qui, encore aujourd’hui, redoutent ses exigences morales. Cependant, progressivement, cette rencontre est passée de l’hostilité à l’estime. Cela s’est produit autour des années 1970, après les assises du concile Vatican II qui a suscité un nouveau regard sur les cultures des pays de mission et suggéré de nouvelles approches missionnaires avec le courant de la théologie de l’inculturation : les objets des sanctuaires d’initiation traditionnelle ont été introduits dans les sanctuaires chrétiens que sont les églises ; les tambours et les balafons furent admis pour accompagner les chants liturgiques ; les portes des églises furent sculptées aux motifs des cultures africaines ; les tabernacles en fonte d’acier cédèrent leur place à d’autres réalisés à l’image des greniers des villages.
Ainsi les missionnaires alsaciens et lorrains qui sont partis en Afrique ont évangélisé, ils ont christianisé, ils ont aussi baptisé. Ils ont donné de leur vie, de leur jeunesse, de leur bonne volonté, mais ils ont aussi beaucoup reçu. Les objets de L’EAH sont des témoins de cette transformation intérieure. Elle s’observe dans le choix de la collecte. Ces objets ont tous une âme, une histoire, une incarnation. Leur valeur réside dans le regard subjectif du missionnaire collectionneur qui a réussi à mettre au défi sa foi chrétienne qu’il a confrontée à la foi des cultures africaines. Beaucoup de missionnaires se sont initiés au bois sacré, d’autres se sont liés d’amitié aux sacrificateurs de la tradition. Désormais le clergé chrétien, catholique, est capable de s’intéresser au langage et au culte des autres. Aussi, beaucoup de missionnaires ont-ils accepté de sortir du cercle des curieux, du regard souvent épris de préjugés sur les objets considérés non religieux. L’Occidental apprécie souvent la valeur d’un objet par sa beauté, par la notoriété de l’artiste créateur, et par l’environnement qui l’a suscité ou créé. Pour l’Africain, ce n’est pas toujours le cas. La valeur de l’objet se lit par sa fonction sociale. Dans ce sens, la subjectivité du missionnaire catholique qui a participé à la constitution des collections témoigne d’une cohabitation devenue pacifique grâce à la conversion et à la confiance mutuelle des acteurs.
L’EAH symbolise la rencontre entre cultures africaines et cultures occidentales. Les objets exposés sont une vitrine des univers physiques et spirituels. C’est l’Afrique exposée en Europe, ce sont des régions d’Afrique exposées dans un espace européen, français. Mais c’est aussi et surtout la philosophie des cultures africaines qui est représentée. Depuis la section du cabinet des curiosités coloniales à la constitution des personnages chrétiens, le processus de transformation mentale commence par une lutte pour la « civilisation » et s’achève par une tolérance mutuelle devenue la condition de cohabitation.
C’est dans ce sens que l’EAH veut être un espace pour la mission chrétienne d’abord auprès des élèves du collège des Missions Africaines (et pour les autres collèges et écoles qui le souhaiteraient) qui apprendront à découvrir, par les objets d’art, quelques facettes de la vie spirituelle et culturelle de certains peuples d’Afrique. L’espace muséal se propose d’ouvrir pour des visites guidées à des groupes de jeunes, et pour des visites libres lors des journées portes ouvertes ou des journées de solidarité. Pour le grand public, l’EAH organisera cette année, en marge des fêtes de fin d’année, en collaboration avec Noelies, une exposition temporaire des crèches africaines. Elle aura pour but d’évoquer le voyage d’évangélisation entamé par des missionnaires alsaciens et lorrains vers l’Afrique, qui a occasionné un autre voyage vers l’Occident, celui des objets, témoins d’un processus de dialogue incessant entre christianisme et traditions africaines. L’EAH se dispose aussi à prêter ses objets, comme il l’a déjà fait dans le passé, pour des expositions temporaires visant à faire la promotion de l’art et des cultures africaines.
André N'koy Odimba